L'Oiseau frileux

L'Oiseau frileux

vendredi, octobre 18, 2013

Un voile sur les yeux



Françoise Brault
Enseignante à la retraite

Comment comprendre que des femmes d’ici revendiquent de porter le voile alors qu’ailleurs des femmes se font fouetter, violer, « vitrioliser » parce qu’elles refusent de le porter ? On se fout complètement du calvaire de ces femmes vu qu’il ne se déroule pas dans notre cour ? Où est passé la solidarité ?

J’ai enfin compris ce mystère suite à des conversations avec des femmes musulmanes qui ont vécu dans les pays du Magreb et du Moyen-Orient, ainsi qu’après plusieurs lectures, dont le livre de Yolande Geadah, Femmes voilées, intégrismes démasqués.

C’est que les intégristes sont de fins stratèges. Tout comme le néolibéralisme,  ils connaissent l’importance des petits pas, des changements graduels, à peine perceptibles.  Ils revendiquent des points qui peuvent paraître anodins et légitimes aux yeux de certains mais au fil du temps, leurs exigences se font de plus en plus fortes.

Ils savent adapter leur discours aux besoins de la cause. Au Québec, au lieu de faire du port du voile une obligation sous peine de graves sanctions, comme c’est le cas dans les pays du Nord de l’Afrique et du Moyen-Orient, ils présentent le côté givré de leurs discours. Ici, le voile, comme par magie, devient un choix, un symbole identitaire, une façon de s’affirmer face à cet Occident dépravé qui leur a causé tant de torts (ce qui est vrai hélas !). Plus facile de susciter l’adhésion de cette façon.




Dalila Awada
En matière de choix, celles qui le portent sont vues comme plus vertueuses, comme ayant atteint l’accomplissement de leur démarche religieuse. Celles qui adoptent ce discours sont très valorisées et les plus brillantes et les plus jolies sont choisies et formées pour communiquer avec les médias afin de transmettre le message sur toutes les tribunes. Celles qui refusent le port du voile sont mal vues, pour ne pas dire ostracisées. Personne ne parle de celles-la. Elles ne viendront jamais à la TV.

Ces stratèges islamiques savent bien que leurs imams ne seraient pas très convaincants en parlant de « libre choix » quand il s’agit du voile. Voilà pourquoi ils envoient des femmes sur la place publique. De même, les propos tenus par Dalida Alawal à “Tout le monde en parle” ne seraient pas crédibles si défendus par une femme ensevelie sous sa burka ou son nikab. D’ailleurs la femme qui refusait d’enlever son nikab à la Cour suprême utilisait les mêmes propos que la jolie Dalida.

Ces femmes possiblement sincères réalisent-elles jusqu’à quel point elles sont manipulées ? Nos grand-mères aussi étaient sincères qui, sous les incitations des curés, n’étaient pas favorables au droit de vote des femmes.

Des gens s’étonnent de voir tant d’attention, tant de passion autour du voile, en comparaison de la kippa et du turban sikh. À notre connaissance, personne n’a été massacré parce que refusant de porter kippa ou turban. Si des hommes vivant ailleurs étaient fouettés ou emprisonnés pour cette raison, avez-vous l’impression que les croyant-es d’ici revendiqueraient de porter ces signes ?

Qui connaît un pays où le voile est une obligation et où les femmes ont les mêmes droits que les hommes ? Le lien entre femmes voilées et inégalité homme-femme ne saute-t-il pas aux yeux ? Comment des féministes de longue date du Québec peuvent-elles dissocier aussi facilement les deux ?

Les imams qui ont voulu instaurer un tribunal islamique en Ontario et travaillent dans l’ombre pour qu’il y en ait un à Montréal sont aussi ceux qui prônent le plus ardemment le port du voile. Ce fait à lui seul devrait faire réfléchir.

Jamais nous verrons dans nos médias des imams intégristes remettant ouvertement en cause l’égalité homme-femme. Ce serait de la dynamite et ils le savent. Pourtant, c’est leur but. But inavouable publiquement. Voilà pourquoi et comment, sous couvert religieux, ils avancent masqués.

Comment des féministes d’ici ne réalisent-elles pas que l’intransigeance en faveur du port du voile dans la fonction publique fait partie de leur stratégie, que le discours sur ces pauvres femmes victimes qui doivent choisir entre leur voile ou leur travail est du pur chantage, de la manipulation raffinée au plus haut degré. Françoise David est tombée tête première dans ce piège et a entraîné Parizeau avec elle. Au-delà du voile, l’enjeu est bel et bien l’égalité homme-femme.

Des gens de bonne foi argumentent que l’égalité homme-femme ne doit pas primer sur la liberté de religion. Primo : dans ce projet de Charte, la liberté de religion n’est aucunement remise en question, mais seulement sa manifestation extérieure, et ce uniquement dans un contexte où le devoir de réserve est de mise. Secundo : « J’aimerais savoir ce que penseraient les hommes si les chartes disaient que leur droit à l’égalité a moins d’importance qu’un droit religieux. » (1) Nous savons tous et toutes la réponse.

En outre, ces brillants stratèges ont compris jusqu’à quel point il était avantageux de choisir le Québec pour avancer leurs pions. Selon Mme Geadah, Québécoise d’origine égyptienne : « En 1991, à Washington, une conférence islamique avait désigné le Canada comme lieu privilégié pour les activités de la Ligue islamique, en raison de sa politique de multiculturalisme et de sa Charte des droits et libertés. p. 229 (2). Ils savent les Québécois-es sensibles et vulnérables aux accusations de xénophobie, d’antisémistisme, d’islamophobie. - Heureusement, maintenant ayant plus confiance en eux et en elles, les Québécois-es commencent à être immunisé-es contre ce genre d’attaque et moins vulnérables. Étant donné le contexte du Québec dans le Canada, les stratèges savent très bien que leurs accusations d’islamophobie seront repris en choeur par le ROC. Ainsi le Québec se retrouvera complètement isolé, ostracisé et ne pourra résister.

Tout comme la pression pour la hausse des droits de scolarité ne peut se comprendre sans une profonde connaissance du néolibéralisme, ainsi on ne peut saisir les raisons de l’intransigeance contre cette Charte sans connaître l’idéologie intégriste sous-jacente.

Quel modèle de société sous-tend le voile ? Tout est là.

Les personnes dangereuses ne sont pas celles qui portent un voile sur la tête, mais bien celles qui portent un voile sur les yeux.

Notes
1. Intéressant tweet lu sur le site de sisyphe.org
2. Yolande Geadah, Femmes voilées intégrismes démasqués, Ed. VLB, p. 229
Mis en ligne sur Sisyphe, le 14 octobre 2013

Source: Sisyphe.org.

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