Sur le site Sisyphe.org, on trouve quelques extraits de L'Euguélionne, l'ouvrage déroutant, magnifique et imposant que Louky Bersianik a publié en 1976 et qui n'a plus, depuis très longtemps, place dans les librairies. Le message, pourtant, n'en est pas dépassé: «Femmes de la Terre, femmes modernes et géniales de la Terre, n'êtes-vous pas fatiguées d'être des Égéries,» dit l'Euguélionne?»
Prendre sa place, parler, se nommer, sortir de l'ombre, «déplacer le monde de quelques millimètres vers le côté féminin», est un combat sans fin. Dans les lieux de pouvoir que sont la finance ou la politique, les femmes sont rares quand on atteint les plus hauts sommets. Dans tant de pays, la liberté même des femmes est si facilement menacée. Quant à l'univers culturel, où on les croit plus nombreuses, ce sont encore des femmes interprètes que l'on parle le plus, pas de celles qui créent: parolières, cinéastes, peintres, musiciennes...
Louky Bersianik elle-même n'échappe pas au lot. Elle est morte samedi, et son décès passe inaperçu alors qu'elle fait partie des grands noms de notre littérature. Son Euguélionne, d'une provocante intelligence, fut le premier grand ouvrage féministe du Québec, mais c'est un livre important, point. L'auteure y refait le monde à partir d'un regard de femme, exercice qui sera repris dans un autre de ses livres, Le pique-nique sur l'Acropole, en 1979.
C'est une approche qui dépasse l'intimisme, qui a du souffle et qui — même si on voit la lignée avec le célébrissime Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, paru en 1949 — est alors unique en son genre. L'Américaine Marilyn French, que son roman Toilettes pour femmes rendit célèbre à la même époque, attendra le milieu des années 80 pour se mettre à explorer, dans une succession d'essais, la condition féminine à travers les âges.
Louky Bersianik n'aura pas eu les millions de lectrices d'une Marilyn French, mais au Québec, son impact fut immense. Enfin, on pouvait ajouter une voix d'ici aux Marie Cardinal, Benoîte Groult, Betty Friedman, Germaine Greer... En plus, cette voix traversait les temps en se jouant des mots, inventant des métaphores pleines d'humour, et de colère, et de poésie! C'était jouissif et terriblement inspirant.
Tout ce talent, pourtant, n'a pas empêché Mme Bersianik d'être oubliée, réalité bien féminine. Combien de lauréates aux 11 Prix du Québec cette année? Une seule. Combien de funérailles d'État pour une femme? Jamais. Et la relève qu'on vante, qu'il s'agisse d'entrepreneurs, de réalisateurs, de chefs d'orchestre ou en cuisine, est toujours masculine.
Louky Bersianik, pourtant, a continué de travailler, signant des textes splendides, comme la très belle Chanson pour durer toujours interprétée par Richard Séguin. Mais son temps était passé: la mode des écrits féministes n'a pas été si longue.
Pour réparer l'oubli, il faut rééditer L'Euguélionne. D'autant que cette mort coïncide avec l'anniversaire, aujourd'hui, de la tragédie de Polytechnique. Pouvoir relire avec quelle fougue Louky Bersianik invitait le monde à l'égalité serait aussi une contribution à la lutte contre la violence faite aux femmes.
Source: Le Devoir - Josée Boileau
Source: Le Devoir - Josée Boileau
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