L'Oiseau frileux

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vendredi, mars 07, 2014

Lise Payette: Debout, les filles, l’égalité s’en vient!

Que ferai-je sans vous, madame Payette?
Merci d'être venue encore à ma rescousse ...

May


C’était le 14 décembre 1976. Je venais d’être élue députée de Dorion et nommée ministre des Consommateurs, Coopératives et Institutions financières. Je venais de prendre place à mon fauteuil à l’Assemblée nationale, car nous allions siéger quelques jours avant Noël, le temps d’adopter des lois nécessaires et urgentes. Ne me demandez pas lesquelles, je n’en ai aucun souvenir. Mais je me souviens de ma réaction quand j’ai constaté de visu la composition de l’Assemblée nationale réunie pour la première fois ce jour-là. Mes yeux ont fait le tour de « la noble enceinte », comme on appelle souvent le salon bleu, et j’ai pu immédiatement constater l’incongruité de la situation : nous étions 110 députés au total, issus de tous les partis politiques représentés. Sur les 110 députés, cinq seulement étaient des femmes ! J’ai éclaté de rire. Et ça m’a valu quelques regards de travers de certains de mes collègues.


Je venais de me rendre compte du ridicule de la situation. Et en même temps du fait que j’étais probablement la seule à l’avoir remarqué. Quand j’essayai d’en parler à mes collègues au Conseil des ministres suivant, en leur expliquant pourquoi j’avais été frappée par cette étrange situation dans laquelle nous allions vivre, je leur demandai s’il était envisageable pour eux qu’un jour l’Assemblée nationale soit composée de 105 femmes et de 5 hommes ? Ils m’ont regardée comme si j’étais devenue folle et personne n’a répondu. J’en soupçonne certains d’avoir même pensé que les cinq femmes qui étaient là étaient déjà de trop parce que, c’est bien connu, la présence d’une femme, ou de deux ou de cinq, ça dérange le climat qui s’établit entre les hommes quand ils sont entre eux. J’ai bien essayé de savoir pourquoi, sans beaucoup de succès.



Quand on leur pose la question, les hommes répondent : « Ben non, ben non, au contraire, on aime beaucoup les femmes. » Mais c’est justement le genre de réponse qui ne mène nulle part.


Les femmes du Québec ont donc continué leur petit bonhomme de chemin. Elles ont compris, elles, que, si elles veulent que les choses changent dans le sens qu’elles souhaitent, elles doivent prendre la place qui leur appartient dans les affaires de l’État. Autrement, si elles attendent que les solutions les concernant viennent des hommes politiques, elles risquent d’attendre longtemps et de ne servir qu’à coller les enveloppes de ces brillants candidats qui ne doutent jamais un seul instant d’avoir toutes les qualités pour mener le monde. Rien de moins.

Je crois que, s’il y a une chose que les femmes québécoises ont bien comprise, c’est que« ce n’est pas parce que c’est écrit dans une charte que le problème est réglé ». Oh que non !

Autrement, nous aurions senti la différence depuis 1975, alors que la Charte des droits québécoise était adoptée et qu’elle promettait l’égalité homme-femme, mais sans trop de détails, ça va de soi. Est-ce que ç’a changé la situation des femmes du Québec ? Honnêtement, je ne le crois pas. Ce que les femmes ont gagné, elles sont allées le chercher. La Charte aura 40 ans l’an prochain et nous n’avons toujours pas atteint l’égalité des salaires dans tous les domaines. La lutte continue pour ça et pratiquement pour tout le reste. Maintenant, on ajoute la charte de la laïcité, qui promet aussi l’égalité homme-femme… Si on y croit vraiment, peut-être que le monde changera.

La patience des femmes arrive au bout du rouleau cependant, et on en voit le résultat dans la décision de nombreuses femmes de faire le saut en politique active depuis les élections municipales récentes et le déclenchement de la campagne électorale pour former un nouveau gouvernement à Québec. Les femmes ont compris que plus elles seront nombreuses là où les décisions se prennent, plus elles pourront changer le monde. Peut-être pourront-elles aider à en faire un monde meilleur, car on ne peut pas dire que ce que les hommes en ont fait à travers les siècles est très impressionnant.

Ce 8 mars, pour la Journée internationale des femmes, souvenons-nous qu’on continue d’exciser les petites filles dans 23 pays africains et en Égypte, sans compter les pays dont on ne connaît pas les statistiques. Les hommes s’entretuent dans tous les coins du monde. On fait sauter des immeubles, des voitures, des centres commerciaux, des écoles. On vend des femmes et des petites filles pour la prostitution. Partout dans le monde, on viole des femmes et elles ont partout peur de sortir la nuit. Aux États-Unis, on se tire dessus. Ici, au Québec, la violence des hommes s’exprime de plus en plus par des meurtres sordides à l’arme blanche. Quand une femme annonce à un homme qu’elle va le quitter, elle doit prévoir de se mettre à l’abri avec ses enfants, car certains hommes pensent régler leurs comptes en tuant toute la famille.

Il est grand temps que les femmes parlent de leurs valeurs à elles. Debout, les filles !

Source: Le Devoir, 7 mars 2014

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