L'Oiseau frileux

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samedi, août 13, 2016

Les Jeux olympiques les plus gais de l’histoire?

 
Photo: Themba Hadebe Associated PressLes fiancées Isadora Cerullo et Marjorie Enya

Au Brésil, les athlètes ouvertement gais ou lesbiens n’ont jamais été aussi nombreux. Un record qui marque un tournant dans l’acceptation des sportifs LGBTQ.

 Florian Bardou - Libération  
 
C’est l’une des images de ce début de Jeux olympiques, chargée d’émotion et sans doute vouée à la postérité. Depuis lundi, le baiser de fiançailles d’Isadora Cerullo, demie de mêlée des Brésiliennes en rugby à VII, et de sa petite amie, Marjorie Enya, bénévole des JO, immortalisé par la flopée de photographes internationaux présents sur le terrain du stade Deodero, à Rio, ne cesse d’agiter les réseaux sociaux.
 
Cette marque d’amour, à l’issue de la remise du titre olympique aux Australiennes, est loin d’être anecdotique. Pour la première fois aux Jeux, un couple de femmes a officialisé, en public, son union. Un symbole, dans un pays où, par ailleurs, les couples homosexuels ont le droit de se marier depuis 2013 mais où près de 1600 personnes lesbiennes, gaies, bis ou trans ont été assassinées en quatre ans et demi. « Je veux montrer aux gens que c’est l’amour qui gagne », a confié Marjorie Enya à la BBC.

Son geste fait en tout cas écho à une tendance carioca : jamais une olympiade n’a en effet compté autant d’athlètes lesbiens, gais, bis, trans ou queers (LGBTQ) hors du placard et visibles, à l’image du plongeur britannique multimédaillé Tom Daley, du nageur des Tonga Amini Fonua — et son maillot de bain du centre LGBTQ de Los Angeles — ou de la lanceuse de disque allemande Nadine Müller. Un tournant pour la cause LGBTQ ?
 
Les Jeux olympiques de Rio sont-ils les plus gais de l’histoire ? Statistiquement, c’est le cas. Pour cette 31e édition des Jeux olympiques modernes, au moins 47 sportifs et trois entraîneurs — Libération en compte en réalité 49 désormais — sont « out » sur 10 500 compétiteurs au total. C’est bien plus qu’à Pékin, en 2008, où 12 athlètes avaient publiquement fait part de leur orientation sexuelle, mais également le double des JO de Londres, en 2012, où ils étaient une petite vingtaine pour un nombre de sportifs quasi stable.

Une visibilité accrue grâce « à une meilleure acceptation de l’orientation sexuelle dans le sport, en particulier dans les pays anglo-saxons et dans le sport féminin », explique Manuel Picaud, président de l’association Paris 2018, organisatrice des Gay Games.« Le Brésil est aussi un pays assez ouvert sur le sujet, estime de son côté Sylvain Coopman, président de la Fédération sportive gay et lesbienne (FSGL). C’est un terrain qui permet l’expression de son homosexualité. Quand on aura une compétition comme la Coupe du monde de foot, en Russie ou au Qatar, je doute que ce soit le cas. En revanche, ce qui aura été fait au Brésil, en matière de visibilité, ne pourra pas s’effacer. » 

Depuis l’émergence du mouvement gai et lesbien dans les années 1970, les avancées sont considérables. En 1988, aux Jeux de Séoul, le cavalier Robert Dover était devenu le premier (et seul) athlète ouvertement gai à participer aux JO. Il a donc fallu attendre 30 ans pour qu’un nombre toujours plus important de sportifs osent faire leur coming out tout en étant en activité.
 
Le nombre toujours plus important de sportifs et sportives qui assument publiquement leur homosexualité, notamment aux JO, n’est pas dénué d’utilité. « Les JO, ce n’est pas n’importe quelle compétition : c’est une fenêtre d’opportunité pour faire passer un message, souligne Cécile Chartrain, présidente de l’association de football lesbien Les Dégommeuses. Aujourd’hui, les sportifs et sportives savent qu’ils sont des personnes médiatiques et qu’ils peuvent jouer le rôle de modèles pour les plus jeunes. » Depuis son coming out en décembre 2013, le plongeur Tom Daley l’a bien compris. Avec son compagnon le scénariste Dustin Lance Black, il use de sa notoriété (et de son sex-appeal) sur les réseaux sociaux pour soutenir la cause LGBTQ.
 
Moins connue en dehors du milieu du hand, la goal de l’équipe d’Argentine, Valentina Kogan, bientôt maman de deux jumeaux avec sa compagne, souhaite partager son parcours pour en finir avec les préjugés. « Nous avons la chance de vivre notre relation normalement, dans la joie, et grâce au respect que nous accordent nos proches,confiait, à la veille de Rio, l’internationale argentine à La Nacíon. En montrant cette réalité, on a pu aider beaucoup de personnes. D’ailleurs, on a reçu un tas de messages de félicitations. »
 
Philippe Liotard, sociologue du sport et de la sexualité à l’université Lyon I, va plus loin. L’universitaire rappelle que les Jeux, regardés par des dizaines de millions de téléspectateurs à travers le monde, « ont toujours été un lieu d’expression politique où on cherche à mettre en avant des revendications ».

Personne n’a, par exemple, oublié les poings levés contre la ségrégation, lourds de conséquences, des sprinters américains Tommie Smith et John Carlos, aux JO de Mexico, en 1968. « La multiplication du nombre d’athlètes hommes et femmes qui parlent de leur sexualité, cela peut contribuer à banaliser l’homosexualité dans le sport pour ne plus en faire un problème », poursuit Philippe Liotard. Il ajoute : « Cela oblige également à interroger la différence. Les cas des athlètes intersexes Dutee Chand[sprinteuse indienne sur 100 mètres] et de Caster Semenya [vice-championne olympique sud-africaine du 800 mètres] ont fait bouger les lignes sur le genre et l’éthique dans le sport. » L’an passé, la réhabilitation de la sprinteuse indienne, exclue de toutes compétitions par sa fédération pour un niveau de testostérone trop élevé, avait été saluée comme « une victoire pour toutes les femmes de l’athlétisme ».
 


 
L’homophobie et la transphobie reculent-ils dans le sport ?
 
Pour que l’homosexualité et la transidentité soient totalement acceptées dans le sport mondial, le chemin à parcourir est encore long. Certes, aux Jeux olympiques 2016, les athlètes LGBTQ sont plus visibles que jamais, mais l’homophobie et la transphobie dans le sport, que ce soit au sein des fédérations ou chez les partisans, reculent marginalement, et encore moins dans les pays non occidentaux.
 
La polémique, jeudi, autour d’un article racoleur du Daily Beast qui outait une dizaine d’athlètes gais originaires de nations où l’homosexualité est passible de peines de prison, est d’ailleurs symptomatique des disparités en matière d’acceptation des personnes LGBTQ dans le monde. « Dans les îles Tonga, l’homosexualité est toujours illégale. Si je suis assez fort pour être celui que je suis aux yeux du monde, ce n’est pas le cas de tout le monde. Respectez-ça », a tweeté, outré par cet acte malveillant, le nageur ouvertement gai Amini Fonua.
 
D’autant qu’à Rio, les insultes homophobes n’ont pas quitté les stades. Lors des matchs de football féminin États-Unis–Nouvelle-Zélande et Canada-Australie, des équipes où évoluent de nombreuses joueuses ouvertement lesbiennes et bisexuelles, les « bicha », soit « pédé », ont fusé. « Le Comité international olympique (CIO) n’a pas protesté, ni exprimé de réserves, regrette Manuel Picaud, de Paris 2018. Aucune sanction n’a été prise alors que c’est dans les règlements. »
 
Pourtant, depuis quelques années, le CIO est plus vigilant pour garantir le respect des athlètes LGBTQ. Depuis les Jeux d’hiver de Sotchi, en 2014, très critiqués, y compris par les athlètes, en raison des lois anti-gais adoptées par le gouvernement russe, le Comité international olympique a inscrit dans la charte le principe de non-discrimination, plus connu sous le nom de « principe 6 », que les villes hôtes doivent s’engager à respecter. Par ailleurs, début 2016, l’autorité olympique a décidé d’ouvrir la compétition aux athlètes transgenres sans qu’ils aient besoin d’être opérés.
 
Ces avancées, sans un travail conjoint des fédérations sportives, sont toutefois insuffisantes pour lutter efficacement contre l’homophobie et la transphobie, notamment dans les sports de masse comme le football, par exemple. Conséquences : les choses avancent aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Australie avec des campagnes ou des plans de lutte anti-LGBTQphobies ambitieux, alors que le foot français n’est pas en avance sur le sujet.
 
« On a encore besoin de messages forts, et c’est aussi pour ça que le mouvement des Gay Games existe », insiste Manuel Picaud. Pour le sociologue Philippe Liotard, une chose est sûre : « Le chemin de l’acceptation s’achèvera quand le futur Usain Bolt embrassera son compagnon après son titre olympique sans que cela suscite de réactions négatives. »
 
Source: Le Devoir

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