Christian Rioux
Chroniqueur au Devoir à Paris
Extrait de sa chronique
7 juillet 2017
Simone Veil |
Avez-vous observé le silence gêné de nombreuses féministes, notamment québécoises, à l’égard de Simone Veil ? On dirait que son nom leur brûle les lèvres. Car Simone Veil n’était pas une défenseure tous azimuts de l’avortement. Elle ne le brandissait pas comme une panacée ni même un droit universel. Pour elle, il s’agissait d’un acte grave et exceptionnel. Simone Veil pratiquait ce qu’on pourrait appeler un féminisme pragmatique de tradition française qui, contrairement à une certaine école américaine, ne s’enfermait pas dans la guerre des sexes. Pour elle, il s’agissait d’abord d’en finir avec ces 2500 décès annuels dus à des avortements clandestins. Voilà pourquoi cette loi avant-gardiste (le Canada ne décriminalisera l’avortement qu’en 1988) s’oppose aux avortements tardifs. C’est probablement grâce à cet équilibre subtil que la France a su éviter jusqu’à maintenant les affrontements violents que l’on voit proliférer aux États-Unis et même au Canada.
Avant d’être féministe, européenne ou de tradition juive, Simone Veil était d’abord une citoyenne prenant en compte les intérêts de la nation. Comme l’écrivait cette semaine le rabbin Delphine Horvilleur, « plus que le droit de concevoir ou pas, elle [Simone Veil] nous invitait à penser la possibilité de nous concevoir autrement, de nous tenir là où aucune femme ne s’était tenue avant nous […] sans renier notre féminité, sans contrainte de s’adapter au modèle masculin, sans le singer pour s’y fondre ».
C’est pourquoi aussi, en 2013, Simone Veil avait pris le parti d’éviter les anathèmes en rencontrant les opposants qui défilaient par millions dans les rues de Paris contre le mariage homosexuel. Quatre ans plus tard, Emmanuel Macron a d’ailleurs eu le courage de reconnaître qu’on avait alors « méprisé » une partie de la France, qui ne s’opposait pas tant au mariage entre homosexuels (accepté par une large majorité de Français) qu’à ses conséquences anthropologiques sur la filiation. Ce qui n’avait pas empêché Simone Veil de répondre ce qui suit à un journaliste qui lui demandait comment elle réagirait si elle apprenait que son fils vivait avec un homme : « Je l’inviterais à dîner ! »
Symbole vivant de la mémoire de la Shoah, Simone Veil refusait la récupération politique. Même si elle avait présidé son comité de soutien, elle s’était opposée à la proposition de Nicolas Sarkozy qui voulait confier à chaque élève de sixième année du primaire la mémoire d’un enfant mort dans les camps. Comme si ce poids n’était pas insoutenable. De même, après les années d’euphorie et l’échec du référendum de 2005 sur la Constitution européenne, avait-elle pris le parti gaulliste d’une Europe des nations. C’est du moins ce que nous apprend son compagnon d’Académie, l’écrivain Jean d’Ormesson.
En cette époque de bien-pensance, la vie de Simone Veil montre que la morale véritable ne se brandit pas comme un hochet, mais qu’elle se vit. Face à la concurrence des souffrances, où chacun cherche à passer pour un « survivant », l’humilité et la discrétion dont cette grande dame a toujours fait preuve à l’égard de son propre destin restent un exemple. Comme l’écrit avec justesse l’historien Jacques Julliard : « Simone Veil ne nous tire ni vers la gauche ni vers la droite : elle nous tire vers le haut. »
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