Le magasinage, sport national des Québécois: ruée vers les magasins pour les soldes d'Après-Noël, le 26 décembre dernier.
Photo: Hugo-Sébastien Aubert, archives La Presse
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J'aimerais vous donner son vrai nom. Mais il se ferait virer, c'est sûr. Appelons-le donc Jean-François. Il a 30 ans. Il a davantage l'air d'un surfer californien que d'un vendeur d'assurances.
Mais quand on l'écoute raconter ses visites chez les clients, JF n'a plus l'air d'un surfer: on dirait un anthropologue préparant un livre qui pourrait s'intituler «Le Papou qui (sur) consomme»...
Pour vous, JF n'est que le «gars des assurances» qui cogne à votre porte deux fois l'an. Mais rien ne lui échappe, quand il entre dans vos maisons. Vos iPads, vos télés 72 pouces, vos téléphones intelligents, vos chars neufs, la console Wii, le char pas neuf mais presque neuf que vous avez acheté pour le p'tit dernier, le VTT, la motoneige...
«On dit que la classe moyenne est étouffée. Moi je pense qu'elle est étouffée par ses caprices de luxe, oui...»
Dix fois, quand JF m'a raconté la surconsommation de ses clients, il a parlé de la culture du voyage-dans-le-Sud. Il est fasciné par ces photos, sur vos murs, qui documentent vos voyages sous les tropiques...
«Pour me montrer que les temps sont durs, qu'ils se serrent la ceinture, combien de fois ai-je entendu des clients me dire: Avant, on y allait deux fois par année. Cette année, on va y aller juste une fois!»
La culture du voyage-dans-le-Sud, Dieu que vous m'en avez parlé, quand j'ai fait un appel à tous pour cette série sur le fric! Surtout ceux qui gèrent le budget familial avec une rigueur maniaque, ceux-là m'ont tous dit, ou presque: nous, nous n'allons pas dans le Sud... contrairement à tout le monde autour de nous. Vous lisant, j'entendais l'écho d'un bout de ma conversation avec JF: «Le voyage dans le Sud, de nos jours, c'est la norme.»
Pour le plaisir, j'ai demandé à Statistique Canada de me fournir des données sur les voyages des Québécois à Cuba, au Mexique et en République dominicaine.
En 2000, les Québécois ont fait 110 300 voyages au Mexique; 97 500 à Cuba et 66 600 en République dominicaine.
En 2010? Mexique: 232 900 (deux fois plus); 484 900 à Cuba (cinq fois plus) et 285 100 (quatre fois plus) en République.
Bien sûr, on peut dire que dans le voyage, les prix ont chuté depuis 10, 15, 20 ans, pour mille raisons. «On peut dire: C'est juste 800$ par semaine, c'est pas la fin du monde, c'est vrai, observe Jean-François. Mais quand tu fais 30 000$, 35 000$ par année, c'est une grosse dépense!»
Le hic, note mon anthropologue amateur, c'est que toutes ces petites dépenses qui ne sont pas la fin du monde, elles s'accumulent. «Le kit de golf. La planche de wakeboard. L'essence de ton week-end de motoneige ou de VTT. La Wii. Individuellement, c'est rien. Mis bout à bout...»
Mais, bon, le crédit permet l'accumulation. Au Québec, le taux d'endettement, qui ne suit pas la hausse des revenus, est en croissance: il est de 119%, contre 147% au Canada. «Le crédit, me dit le célèbre économiste Pierre Fortin, a remplacé l'épargne.»
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Un flash, avant d'aller plus loin. Le 26 décembre dernier, roulant vers les Laurentides, je tombe sur quoi?
Sur des bouchons de circulation!
Sur la 40, d'abord. Puis sur la 15, en entrant à Laval. C'était le lendemain de Noël, pourtant, journée tranquille, pas un jeudi d'octobre à 17h34...
Puis, à Laval, j'ai finalement allumé.
Ces bouchons, c'étaient les milliers de voitures convergeant vers les centres commerciaux, Boxing Day oblige. Sur la 40, c'était le Marché central qui était pris d'assaut. Sur la 15, au moment où j'ai enfin cliqué, c'étaient les «power center» autour du vieux Centre Laval. Plus haut, la file pour entrer au Carrefour Laval causait un bouchon sur la voie de service de la 15 sud, jusqu'au boulevard Dagenais...
Comment ne pas penser à The Story of Stuff, ce court métrage disponible sur le web, qui décrit simplement les rouages d'un système qui carbure à la production de cossins. «La façon principale dont notre valeur est mesurée et démontrée est par notre capacité à consommer, constate la réalitrice Annie Leonard. Et pour consommer, nous consommons! Nous magasinons, magasinons et magasinons...»
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Même si vous avez pleinement conscience que vous vivez dans une société qui vous préfère consommateur, plutôt que citoyen, l'attrait de la bébelle et de la dépense est irrésistible. Prenez Sarah Smith, étudiante au bac en communication, politique et société à l'UQAM, qui m'a écrit son désarroi envers «l'imposture» du système: «Vivre pour faire de l'argent. Faire de l'argent pour faire rouler la machine...»
J'ai appelé Sarah, pour qu'elle élabore. Elle était lucide.
«Je ne suis pas meilleure que les autres: j'ai un Mac. Je suis influencée par les autres étudiants, qui en ont. On est toujours influencé par quelque chose. Tiens, mes bottes: ai-je acheté les plus chaudes, fabriquées au Québec? Non, j'ai acheté des Steve Madden, que je trouve cool...»
Et ça, c'est une personne consciente qu'elle est, à son portefeuille défendant, un rouage de cette société de consommation.
Imaginez les autres.
Imaginez nous tous.
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C'est mon amie Danielle, qui m'a parlé de cette série sur l'argent de Patrick Lagacé, en patinant, à l'Aréna Cartier, à Laval, le mois dernier. J'avais oublié ça. C'est qu'il faut me rafraîchir la mémémoire.
Toujours est-il que j'ai décidé de m'y accrocher jusqu'à ce que j'aie passé au travers, mais de façon non orthodoxe, c'est-à-dire en commençant par sa 2è partie intitulée: Série l'argent: «Je suis ce que j'ai»
Une fois qu'on est tombé dedans, la série complète nous est accessible automatiquement.
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