Aux amis et collègues qui me demandent pourquoi on devrait
s’intéresser à l’interminable conflit entre la RDC et le Rwanda, je
réponds : parce que c’est un immense drame humain. Avant d’être un
affrontement très compliqué d’intérêts croisés — politiques et
économiques —, la région des Grands Lacs est une poudrière qui a déjà
fait plus de victimes que les guerres en Syrie et à Gaza.
« C’est un conflit tragique, humanitaire, où les femmes sont devenues des butins de guerre, a déclaré mercredi la ministre française Yamina Benguigui, déléguée à la Francophonie, à la sortie du Conseil des ministres. Les Congolaises sont un champ de bataille où on les massacre et viole à satiété. »
Dénonçant « un conflit sans image », la ministre a indiqué que des
exactions visant délibérément les femmes avaient eu lieu après
l’abandon, par des dizaines de milliers de réfugiés, des camps installés
autour de la capitale du Nord-Kivu.
Je suis allée au Nord-Kivu il y a deux ans. Même quand la guerre
prend une pause, les femmes dans cette région se font violer impunément.
Dans un des camps de réfugiés autour de Goma, mis à feu et à sang par
les rebelles dimanche, j’avais rencontré des femmes qui venaient d’être
sauvagement attaquées au moment où elles allaient chercher du bois dans
la forêt.
Seize femmes violées par des soldats de l’armée congolaise censés les protéger contre les rebelles qui campent dans la forêt. « Un seul homme m’a violée, m’avait dit Justine, une mère de six enfants, en s’excusant presque d’avoir été " épargnée ". La femme à côté de moi a été violée par deux soldats, son appareil génital est complètement détruit. »
Le viol est devenu une arme de guerre en RDC. Stephen Lewis, ancien
ambassadeur du Canada à l’ONU et ancien envoyé spécial de l’ONU pour le
VIH/SIDA en Afrique, avait inventé un mot pour décrire ce fléau : le
« fémicide ». C’est reparti, les Congolaises, qu’elles soient Hutues ou
Tutsies, qu’elles parlent swahili ou kinyarwanda, sont, encore une fois,
les premières victimes de cette guerre insensée.
« Les bombes du Rwanda tombent sur nos maisons, nous allons mourir »,
criait mardi une maman congolaise en courant en fuite sur le bord d’une
route de Goma. Dans l’extrait vidéo de Reuters, Kavira-Marie porte un
bébé sur son dos, tire par la main un gamin d’une dizaine d’années,
tient dans l’autre un bac de plastique bleu. On entend des coups de feu
et des bruits d’explosion tout près.
La famille de Marie court le long d’un mur de pierres. Au-dessus de
leurs têtes, trois soldats font le guet, debout sur le mur. Sous la
visière de leur casque bleu, ils regardent le chaos, loin au-dessus de
la mêlée.
Quand les rebelles sont entrés dans la ville de Goma, les
18 000 militaires de la mission de l’ONU en RDC, qui sont là pour
protéger les civils, ont encore une fois brillé par leur absence… ou
leur laisser-faire. « Les gars de la MONUC (Mission de l’ONU au Congo),
qu’ils nous laissent tranquilles dit Victor Kabengele avec un air de
dégoût. Ils étaient là, ils ont vu les M23 (rebelles) arriver à
l’aéroport et ils sont partis de l’autre côté, ils les ont laissés
prendre l’aéroport. »
Il est frappant de voir les rebelles triompher aujourd’hui devant une
foule immense dans le stade de Goma, entourés de caméras et d’appareils
photo. Ceux qui ont humilié l’armée du Congo — avec l’aide du Rwanda,
selon l’ONU et Washington — veulent que leur victoire et la déconfiture
des hommes de Joseph Kabila soient vues partout dans le monde.
Les
massacres, eux, se font loin des caméras. « Les rebelles exécutent sommairement ceux qui osent se mettre sur
leur chemin ou refusent de coopérer, y compris des chefs traditionnels
et des hauts fonctionnaires, affirme le chef de la mission de l’ONU en
RDC, Roger Meece, de Kinshasa. On nous rapporte que le recrutement
d’enfants-soldats est largement répandu, de même que les violences
sexuelles et d’autres violations sérieuses des droits de la personne. »
Un autre chapitre du « fémicide » congolais vient de commencer. Ne
pas s’y intéresser, c’est laisser des mères de famille mourir à petit
feu sans rien dire. Certains silences tuent.
Pour plus d’information :
Au Congo, les femmes affrontent leurs agresseurs
Reportage diffusé au Téléjournal du 3 mars 2011
Reportage diffusé au Téléjournal du 3 mars 2011
Reportage sur les femmes violées dans le camp de réfugiés de Goma (Téléjournal du 25 novembre 2010)
Aucun commentaire:
Publier un commentaire