Honte à vous pour vos paroles et vos décisions. Mercredi soir, c’est un
homme ordinaire, faisant partie de la manifestation de rue à Montréal et
qui avait l’âge d’être le père d’un des jeunes présents autour de lui,
qui a eu les mots justes pour commenter votre décision entêtée de
continuer à jouer les matamores en refusant d’entendre l’appel au
secours des grévistes. Il a commenté votre coup de force législatif en
disant qu’« un gouvernement qui a les deux mains sur le volant et qui ne
voit pas les milliers de personnes qui sont dans la rue… est dangereux.
» Je le crois aussi.
Il aurait probablement suffi qu’au lieu d’éparpiller des sommes
d’argent importantes pour améliorer les prêts et bourses, de semer des
millions pour améliorer des points que les étudiants n’avaient pas
soulevés, vous preniez le temps de vous asseoir avec eux pour parler de
leurs préoccupations et de chercher, avec eux, un terrain d’entente qui
aurait pu satisfaire les deux parties. Ça se fait chaque jour, dans
toutes les petites décisions familiales. C’est Léo Bureau-Blouin qui l’a
souligné avec à propos en disant qu’« un bon père de famille, quand il a
des problèmes avec ses enfants, n’appelle pas la police à la maison
pour les régler. Il s’assoit avec ses enfants pour en parler ». Léo,
avec ses 20 ans, a plus de sagesse que vous. Ce qui n’est pas sans effet
sur la réaction du public.
Je comprends bien que ce que le Québec vous a fait vivre ne doit pas
vous rendre très heureux chaque jour. Les Québécois vous ont dit, de
façon retentissante, qu’ils ne vous aimaient pas et qu’ils n’avaient pas
confiance en vous. Ils vous ont demandé de partir, de façon assez
brutale, et la relation de confiance continue d’être à son plus bas.
C’est sûrement difficile à accepter pour un homme aussi orgueilleux que
vous l’êtes, qui pensait bien avoir réussi à atteindre sa propre «
inaccessible étoile » et être devenu une sorte d’intouchable en
s’accrochant au sommet. Hélas, ce n’est pas ce qui se produit.
Vous avez réagi en vous promettant de bien montrer aux Québécois de
quel bois vous vous chauffez. Votre colère s’est abattue sur nous sans
retenue. Vous tirez visiblement du plaisir à nous faire mal et à nous
diminuer. Votre mépris exprimé de toutes les façons possibles et sur
toutes les tribunes quand vous parlez de ce peuple qui, selon vos
prétentions, n’a pas su vous reconnaître les qualités exceptionnelles
que vous vous reconnaissez vous-même, en est la preuve flagrante. Votre
orgueil vous donne envie de régler des comptes. Ce que vous faites en
pensant peut-être que nous ne nous en rendons pas compte.
Vous faites la « job de bras » à Québec, dans la foulée du rôle que
vous avez joué lors du deuxième référendum sur la souveraineté du
Québec, comme Stephen Harper fait la « job de bras » à Ottawa parce que
nous avons voté NPD. Nous sommes coincés entre les deux.
Il se lève dans nos rues une toute nouvelle génération de jeunes qui
n’ont pas peur de vous. Ce sont les enfants des parents, et parfois même
des grands-parents, qui sont restés avec la Crise d’octobre 1970 de
travers dans la gorge. Le Québec a découvert qu’il a une mémoire et que
son « Je me souviens » n’est pas juste une phrase vide.
Je ne connais pas les gens qui vous conseillent en ce moment, mais je
vous assure que vous auriez tous intérêt à venir marcher un soir, dans
la rue, avec des milliers de jeunes qui réclament « leur juste part » de
cette société si mal foutue qui est la nôtre et qui partageraient
volontiers avec vous des idées pour arriver à un meilleur équilibre.
Mais je sais que vous ne viendrez pas. Comme je sais qu’il n’y a pas
d’abonné au numéro qu’ils ont composé.
Je ne sais pas si vous arrivez à dormir la nuit. J’espère que non. Moi,
après votre conférence de presse annonçant votre décision d’imposer une
loi spéciale à nos enfants, j’ai repassé dans ma tête tous les premiers
ministres que j’ai connus. J’ai 80 ans. J’en ai connu plusieurs.
Quelques insignifiants, sûrement. Des brillants ? Quelques-uns, mais en
moins grand nombre que les précédents. Mais j’ai le regret de vous
annoncer que vous êtes le pire ; c’est à se demander si vous avez du
coeur.
Vous n’aimerez pas cette chronique. J’en suis bien consciente. Alors,
si mon droit d’expression vous dérange tellement, je vous pense capable
de vouloir me faire taire. Comme dit la chanson : vous pouvez m’envoyer
vos policiers. Dites-leur « qu’ils pourront tirer, car je n’aurai pas
d’arme ».
Les blessures que vous laisserez dans notre peuple, M. Charest, seront
longues à guérir. Mais j’ai la certitude que nous y arriverons. Je suis
heureuse de savoir que la relève est debout. Ça ira plus vite.
Lise Payette
Le Devoir - 18 mai 2012
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