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La Presse
mercredi 13 novembre 2013
mercredi 13 novembre 2013
En mer depuis quatre mois, la Montréalaise Mylène Paquette est arrivée à Lorient, en Bretagne, hier matin, complétant ainsi sa traversée de l’océan Atlantique à la rame. Elle a publié ce dernier texte sur son blogue lundi.
Je ne te supplierai pas de me laisser tranquille, c’est moi qui te cherchais. Au moment d’écrire ces lignes, on se prend la tête avec une dernière querelle et, comme d’habitude, c’est toi qui auras le dernier mot. J’abdique certes et je ne cherche pas à avoir raison. Mon ego reste à sa place, bien tapi dans le dernier recoin au sec de mon esprit.
Cher Océan, ça fait maintenant quatre mois que l’on partage nos vies et déjà je dois te quitter. Je te donne ma parole que nous allons nous retrouver. J’ai apprécié chaque moment passé en ta compagnie, même les plus difficiles, car ils ont su me révéler. Tu m’as permis de me découvrir, me dépasser, me surprendre et, le plus important, de reconnaître mon humilité. Pour chaque trésor trouvé ici, je veux te dire merci.
Tu reconnais sûrement ma voix, car près de toi j’ai crié plus d’une fois. J’ai même déjà cru crier de mes poumons mon dernier souffle, je t’ai crié d’arrêter, de me laisser tranquille, de te calmer... Malgré tout, résonnait tous les jours un éclat matinal de ma petite voix du matin, mon célèbre et traditionnel « Hello World » depuis le pont de mon minuscule esquif.
Notre quotidien s’est construit d’horizons merveilleux, de ciels sans obstacle, d’étoiles. D’un lever de lune pleine à un autre et de tes célèbres couchers de soleil, j’ai rencontré ton âme et tes habitants, des êtres surprenants et merveilleux.
Chaque jour, j’aperçus l’un d’entre eux, que ce soit une baleine, d’adorables globicéphales, des dauphins, des bancs de poissons, du plus petit au plus effroyable du monde, une vieille tortue, des oiseaux, des calmars ou de gracieuses méduses.
Ici, se respectent et s’achèvent, au rythme de ta volonté des milliers d’êtres contribuant au monde, soit de leurs chairs, soit de leurs ruses, parvenant à maintenir de justesse un équilibre incertain pour construire cet univers marin auquel je tire aujourd’hui ma révérence.
J’ai eu peur de toi plus d’une fois. Maintenant que je t’aime à ce point, j’ai beaucoup plus peur pour toi que pour ma petite personne bien limitée. Promets-moi de bien prendre soin des marins de la planète qui te chevaucheront et qui feront passage en tes eaux.
De mon côté, je te promets de t’être toujours loyale, de leur parler de toi en bien et de louanger ta beauté, ta discipline, tes couleurs et surtout tes habitants. Je leur parlerai de toi, je leur dirai à quel point tu es beau, à quel point on ne se soucie pas assez de ton destin. Je leur dirai que tes oiseaux m’ont fait la cour tous les jours et que ton silence peut faire jaillir les plus vieux souvenirs ensevelis aux confins de nos esprits.
Les humains pourront peut-être comprendre que le mal qu’on te fait, nous le faisons d’abord à nous-mêmes. Car, après notre départ et celui des oiseaux, tu continueras à éroder les rochers les plus durs de ce monde et à embrasser les berges. Tu déferleras à jamais en toi-même, tu gronderas et toujours, même si l’Homme n’est plus pour écouter de ses sourdes oreilles, tu feras crépiter l’air à ta surface et ainsi créer le plus beau son du monde, soit l’effervescence de tes eaux.
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