L'Oiseau frileux

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mercredi, juin 11, 2014

« Les athlètes dopés ne payent pas leur dû », dit Lyne Bessette


Jean-François Nadeau
Le Devoir 


« Je pense que je n’ai jamais autant sacré qu’aujourd’hui. » L’ancienne championne cycliste Lyne Bessette dit avoir reçu beaucoup de coups de téléphone de journalistes après la sortie de La petite reine, un film de fiction d’Alexis Durand-Brault qui met librement en image une vie magnifiée de Geneviève Jeanson, déchue pour avoir fait usage d’EPO.

« Toutes les fois qu’elle sort d’une façon ou d’une autre, celle-là, c’est toujours pareil : je passe pour la méchante, la pas fine, la chialeuse. Ce qui me fait chier est pourtant simple : on prend de la drogue, on gagne, ensuite on s’excuse, et on continue de faire les manchettes sans pourtant avoir rien remboursé de ce qu’on a volé ! Et si je dis ça maintenant, on va encore dire que c’est une affaire de jalousie. C’est pas ça ! »

La réflexion de Bessette sur les efforts que doit consentir un athlète pour réussir demeure invariable.« Pour les gens, le sport est une affaire de spectacle. Ils se disent que les athlètes sont tous dopés, que tout le monde prend de la drogue, et on regarde donc le spectacle de loin, avec un petit sourire. Mais quand tu es dedans, que tu donnes ta vie à ça, c’est une autre affaire. Non, c’est pas vrai que tout le monde est dopé. Et ce serait bien que les dopés payent vraiment pour le mal qu’ils font. »

À son sens, Jeanson n’a pas payé sa faute, pas plus que d’autres qui ont suivi les mêmes chemins de la tricherie. « Ils sont pleins à avoir pris des drogues, à avoir gagné puis empoché de l’argent. Un jour, ils se font prendre. Puis ils s’excusent. Et ça continue, leurs affaires ! Ils font des Gran Fondo en héros ou lancent des lignes de vêtements ! Mais ils ne remboursent jamais. Jeanson fait encore la manchette. Et c’est moi qui passe pour la méchante. Mais ce qui m’écoeure, c’est le vol de tous les autres. Les 20 000 $ par année, par exemple, qu’elle a reçus pour le développement des athlètes de Sport Canada pendant des années, tout cet argent-là destiné au perfectionnement du sport dans la jeunesse, cet argent-là est disparu. Ceux qui auraient pu en profiter honnêtement n’ont pas vu cet argent-là. Et ils le verront jamais. La plupart des gens qui se sont dopés ne payent pas vraiment pour ce qu’ils ont fait. Ailleurs, quand tu voles de l’argent, tu vas en prison. Là, c’est comme si c’était rien ! Il semble qu’il y a juste Lance Armstrong qui paye en ce moment. C’est bien qu’il paye. Mais les autres ? »



  
Le problème

Médaillée d’or aux Jeux du Commonwealth, championne du Tour de l’Aude, plusieurs fois championne du Canada et championne de cyclo-cross, Lyne Bessette n’a pas à rougir le moins du monde de son impressionnant palmarès. « Les gens croient que je suis jalouse de Jeanson ! C’est pas ça. Mais enfin, ça nous prend-tu en plus un film pour apprendre que le dopage, c’est pas bien ? Ce film ne nous amène rien de nouveau. C’est encore l’histoire de la pauvre petite fille, victime de son milieu et tout. À 16 ans, je peux comprendre qu’on prenne de la drogue de façon pas tout à fait éclairée. Mais à 23 ans, quand t’es majeure, que tu te dopes et que tu vas dire ensuite devant le monde entier à la télévision que tu n’as jamais touché à ça ? Tu n’es pas responsable jusqu’au bout ? »

Est-ce que les filles du peloton ne se doutaient pas qu’il y avait du dopage à l’époque où Geneviève Jeanson se trouvait au coude à coude avec Lyne Bessette ? « Je le savais que ça existait. Ça se parlait. Au championnat canadien à Hamilton, on nous avait dit que Jeanson ne pourrait pas courir parce qu’elle s’était fait prendre. Elle avait un taux d’hématocrite trop élevé. J’avais dit après aux journalistes qu’on s’en doutait. Et c’est moi qui m’étais fait ramasser ! »

Alors que le peloton féminin roulait plutôt dans une atmosphère de franche camaraderie, Jeanson faisait toujours cavalier seul, se souvient Lyne Bessette. « Elle était très secrète. Très weird aussi. C’était pas normal. En course, on aurait dit qu’elle voulait toujours arracher l’asphalte. Elle était très agressive. Elle cherchait tout le monde. Non, ce n’était pas normal. Elle avait pas le goût de parler à personne. Une fois, je lui ai écrit une lettre. Pas de réponse. Rien. J’imagine que son entraîneur l’a détruite, qu’elle ne l’a jamais eue. Je lui disais que ce serait bien de pouvoir se parler. »

Dans le film d’Alexis Durand-Brault, le personnage inspiré de la vie de Lyne Bessette est interprété par Mélanie Pilon. Cette Valérie-Lyne Bessette apparaît plutôt amère et cynique par rapport aux performances de Julie Arsenau (jouée par Laurence Leboeuf), le personnage librement inspiré de Jeanson. Les deux comédiennes apparaissent très peu à l’aise sur un vélo de course. Mais la course demeure ici accessoire dans cette histoire qui tient surtout aux rapports ambigus qui se tissent autour de l’univers du dopage. « J’irai pas voir ce film. Les gens qui me disent aujourd’hui sur Facebook que c’est bien et que je devrais aller le voir n’ont rien compris à cette affaire ni au cyclisme. J’en ai plus qu’assez. Je les flushe systématiquement. »

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