L'Oiseau frileux

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samedi, juin 28, 2014

Confidences d’un père à un autre

PROPOS SEXISTES : LETTRE À PETER MACKAY
Confidences d’un père à un autre

28 juin 2014 | Éric Pineault - Professeur au Département de sociologie de l’UQAM | Canada



Je me présente, Peter : Éric Pineault, professeur d’université, père de deux enfants (un gars, une fille) et beau-père d’une troisième grande fille de 19 ans. Oui, tu es ministre, personnalité politique importante, un des piliers du nouveau conservatisme canadien, mais je me permets de t’interpeller comme père, Peter. On a presque le même âge : tu es né en 1965, moi, en 1967. Comme moi, tu as certainement été confronté aux importants bouleversements dans les rôles « genrés » entre ta naissance et aujourd’hui. Comme moi, tu as peut-être été témoin de l’ambivalence de nos mères, qui ont massivement quitté le foyer à partir de la fin des années 1970 pour se lancer dans une carrière professionnelle, mais aussi en même temps par contrainte économique à mesure que les revenus du paternel stagnaient ou déclinaient.

On est de la génération qui a vécu la fin du modèle « papa a raison » dans un contexte de restructuration économique profonde. Derrière les chiffres, il y a des histoires : ma mère contrainte de travailler plus qu’elle le voulait, mon père soudainement au chômage, mais incapable de prendre en main l’ordinaire de la maison par manque de savoir et de culture domestique. Peut-être, comme moi, as-tu été marqué par cette transition ? En tout cas, de mon côté, l’impuissance domestique de mon père et l’insécurité professionnelle de ma mère furent des expériences identitaires fondamentales. À cela s’est ajouté l’apport décisif de quelques compagnes de vie qui, confrontées aux mêmes questions, ont trouvé dans le féminisme des réponses importantes.

Je voulais te confier que je suis fier comme parent, et comme père, de transmettre à mon fils et à mes filles les savoirs domestiques dont ils auront besoin pour vivre leur vie adulte, fier que mon gars tienne pour acquis qu’il devra cuisiner, faire la vaisselle et prendre soin des enfants parce que je le fais devant lui et surtout parce que c’est mon devoir de parent de lui montrer cela autant que de lui parler de mon travail comme enseignant et chercheur, tout comme le fait ma conjointe. Nous considérons qu’il faut montrer à nos enfants que la vie domestique et la vie professionnelle n’appartiennent à aucun genre, que les tâches se modulent et se divisent selon les circonstances, pas selon le sexe. En fait, je suis plutôt heureux de cette époque où on peut bricoler beaucoup plus librement que le purent mes parents avec nos contributions et engagements dans la vie familiale et professionnelle. En même temps, il faut reconnaître la ténacité des stéréotypes et des rapports de pouvoir entre les genres. L’égalité est un effort au quotidien, pas un acquis, que ce soit à la Cour suprême ou dans la cuisine.

Peter, mon gars va apprendre à changer des couches. Et peut-être que, comme moi, il va être celui à qui cette tâche sera dévolue dans sa famille. Quant à ma fille, cet été je vais lui apprendre à fendre du bois de chauffage (nous restons à la campagne) afin que jamais elle ne pense que c’est une tâche de gars, qu’elle doit dépendre d’un homme pour se chauffer. Peter, comme père, je suis profondément offusqué qu’un ministre de la Justice tienne des propos aussi sexistes et rétrogrades que ceux que tu as tenus. Mais, baume sur ma colère, tes propos, mes enfants ne peuvent tout simplement pas les comprendre, tellement ils sont étrangers à notre époque, à nos valeurs. Peter, j’ai fait de cette période trouble que j’ai vécue avec mes parents la base d’une plus grande liberté pour moi, ma conjointe et mes enfants. Et toi ?

L’égalité est un effort au quotidien, que ce soit à la Cour suprême ou dans la cuisine.

Source: Le Devoir

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